Love_mom

Je m'appelle Ginette. J'aime lire , écrire, aller au cinéma,

Sunday, May 28, 2006

Un texte pour Botakap

Voici un texte qui sera publié en juin dans la revue Botakap. Pour ceux qui l'ignorent, c'est Philippe qui m'a inspiré le personnage du "sauveur" à peine magnifié par mon imagination... Quant à Tit-Ange, je n'ai retenu que son nom.
REDEMPTION SONG
(Ginette Bernatchez)

Tit-Ange enfourche la chaise en métal qui occupe un coin de la chambre. Le menton dans la coupe de ses mains, il observe Nathalie. Un collier d’hématomes enserre son cou, mais elle n’est plus intubée et elle respire lentement par la bouche. Il rythme son souffle sur le sien, à la recherche du tempo paisible qui contiendrait sa fébrilité. Ça va aller Nat, ça va aller!
Nathalie est aussi amochée que le type qui geint au côté d’elle. Renversé par un camion à ce qu’il paraît. Tit-Ange aimerait croire qu’au moment de l’impact sa soeur tenait la main de ce garçon. Il pourrait se faire à cette idée sans serrer les poings. Raisonner sa colère devant l’adversité. Ce sont des choses qui arrivent. Et surtout - surtout - avant un accident, personne ne donne un coup de fil pour appeler à l’aide.
J’ai peur Tit-Ange, i varge dans porte! Sa soeur lui versait un pichet de larmes dans l’oreille. Tough la run Nat! J’arrive, j’arrive…
Il était au Bal du Lézard, ses chums venaient de se ramener et Les Chiens accordaient leurs instruments. Il avait commandé une bière et Nathalie ne l’avait pas rappelé. Quelques heures plus tard, il l’avait trouvée sur le plancher de la cuisine. Évanouie, une poupée de chiffon démantibulée.
Il ne vaut pas plus cher que la brute qui a cogné sur sa sœur, se dit-il. Après son appel, il aurait dû courir chez elle ventre à terre, or il s’était dérobé. Par inconscience - comme un flo irresponsable - parce qu’il s’amusait bien et parce qu’il n’avait pas su décrypter le danger.
Il tombe de fatigue et la soif se fait sentir. Il prendrait bien une bière… pourtant ça doit attendre. Il veut être là quand Nathalie va se réveiller. Mais il ne peut résister au furieux besoin de fumer.
D’un pas traînant, il suit un autre hors-la-loi, jusqu’au bout du couloir verdâtre qui débouche sur un balcon. Dehors, des fantômes apaisés grillent leur béquille dans la lumière anémique de cette fin d’après-midi. Accoudé à la balustrade, il aspire d’interminables bouffées de cigarette en projetant ses souvenirs d’enfance dans un coin de son esprit. Des couleurs délavées, rien de bien pathétique. Des trappes à souris, du baloney, l’odeur de l’huile à chauffage, la boîte à lunch cabossée de son père et quelques taloches administrées sans conviction. Sur ces images écornées, hors champ : une mère alitée un jour sur deux. Et au premier plan : sa sœur Nathalie. Son aînée de six ans, sa presque mère. Qui chante en préparant le souper. Pour pas pleurer… Qui couvre ses mauvais coups avec indulgence. Mais c’est la dernière fois, tu m’entends… Qui revoit ses devoirs bâclés. Tu peux faire mieux…Et qui l’avait affublé de son surnom au berceau. T’étais si beau avec tes petites frisettes dorées. T’étais mon Tit-Ange. C’est elle qui l’avait élevé.
Un frisson agite son grand corps maigre. As-tu pris ta veste Tit-Ange? Il repère un verre de café plein de mégots - pschitt - ,enfile le corridor en sens inverse. Dans une chambre, un homme écoute de la musique en sourdine. Bob Marley passe à la radio et il reconnaît Redemption song.
Sous le duvet des sédatifs, Nathalie dort toujours. Tit-Ange effleure son bras, mendie le pardon qu’il se refuse. Il voudrait retourner en arrière, remonter le cours des événements jusqu’à hier. Jusqu’à leur enfance. Rattraper ses bêtises, secouer sa nonchalance…
Qu’est-ce qu’il a pu la faire suer…
Bien sûr, il n’agissait pas délibérément par cruauté, mais il aurait pu lui rendre les choses plus faciles. Donner un coup de main, cesser de l’embêter… Déjà leur mère ne quittait pratiquement plus le lit. Nathalie se débrouillait comme elle le pouvait avec le train-train de la maison. À cette époque, ils habitaient au sud de la 18e Rue. L’été, il se morfondait en remontant les ruelles poussiéreuses en quête d’une aubaine pour tuer le temps. D’un coup de pédale hargneux, il écrasait son ennui sous les pneus d’un vieux BMX.
Il se souvient qu’un jour, il avait attiré le chat de Nathalie entre deux sheds. Des hangars galeux, recouverts de papier-briques, qui se soutenaient pour ne pas tomber, à la manière des ivrognes. Nathalie, ton chat est pris! Va le chercher! Naturellement, elle avait mordu à l’hameçon, sans songer une minute que les miaulements de son sac à puces ne réclamaient pas une intervention musclée. Les bras collés le long du corps, elle s’était engagée dans ce passage étroit en se déplaçant en crabe. Son chat hérissé devint carrément enragé quand elle l’empoigna par la peau du cou. Convaincue qu’elle ne pourrait plus rebrousser chemin, Nathalie céda à la panique. Le bardeau d’asphalte labourait sa chair pendant qu’elle se trémoussait en criant. Chus pognée! Tit-Ange fait que chose! Appelle les pompiers!
Effrayé par les hurlements de sa sœur, il avait pris la poudre d’escampette, en recomposant dans sa tête un tableau spectaculaire de la situation; dans lequel, Nathalie - écrabouillée entre les deux sheds - agitait faiblement la main avant de péter au fret.
C’est un gars du coin qui l’avait sortie de ce mauvais pas. Il s’était glissé dans l’espace entre les deux hangars et, en s’appuyant de tout son poids sur l’un des murs, avait fait mine de le relever. Il n’en fallut pas plus à Nathalie pour se calmer et sortir de là comme elle y était entrée - à petites foulées, en retenant son souffle. Son sauveur… Yé tellement fort mon sauveur!
Des hommes forts, Nathalie en n’avait pas croisé souvent dans sa vie, mais elle s’était engouffrée dans un bon nombre d’impasses. Ça oui. Des chemins bordés de fleurs qui se rétrécissaient avant de disparaître sous les ronces. Harcelée à l’usine à cause d’un petit boss de bécosses; tapochée par un chum jaloux dans les toilettes du Colisée; brutalisée au cours d’un party de Cégep qui avait mal tourné… Et hier - battue - laissée pour morte par celui qu’ elle surnommait, il n’y a pas si longtemps : Le-plus-beau-cadeau-que-la-vie-m’ait-fait.
Quand elle racontait ses déboires à Tit-Ange, il hochait la tête désespérément en songeant : Nat, Nat, Nat…est-ce que tu vas apprendre un jour? Réflexion faite, il n’avait guère été présent pour elle. Et maintenant?
Il sait très bien où se cache le salaud qui a laissé sa soeur dans cet état. Il pourrait s’offrir sur-le-champ une virée expiatoire. Lui régler son compte une fois pour toutes. Pourtant, en braquant son regard sur les paupières closes de Nathalie, il devine qu’il ne peut pas se racheter de cette façon. La vengeance est un mot assourdissant. Nathalie ne pourrait l’accueillir qu’en se bouchant les oreilles.
Il doit façonner son repentir autrement.
Tit-Ange ferme les yeux, abruti par une sorte de désespoir panaché. Un amalgame de tristesse, d’impuissance et de fureur. Puis, il réalise tout à coup que l’amour de Nathalie l’autorise à éprouver autre chose que de la haine pour lui-même.
Et sa colère qui s’agrippait au pied du lit, jointures blanchies, tombe. Sa main compatissante en étoile sur le drap.

3 Comments:

  • At 29/5/06, Blogger Jean et les siens said…

    Du grand art.

     
  • At 2/6/06, Blogger Druminick said…

    J'aime.
    J'ai habité près du Bal du Lézard, endroit charmant, bonne bière.

     
  • At 2/6/06, Blogger Mayon said…

    Il me semble intéressant mais jai pas eu le temps de tout le lire je continurais une autre fois!!

     

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